La douleur a-t-elle un genre ?

« Il suffira d’une crise politique, économique, et religieuse, pour que les droits des femmes, nos droits soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez demeurer vigilante. »

Simone de Beauvoir

Ces mots de Simone de Beauvoir résonnent dans nos cœurs de femmes. Ils résonnent dans mon cœur de scientifique et de cheffe d’entreprise. Le rapport du monde scientifique et médical au corps et à la douleur des femmes demeure insidieusement inégalitaire et dangereux.

Il y a un fait indéniable, les femmes sont plus touchées que les hommes par la douleur chronique [1]. En France, 64% des patients souffrant de douleurs chroniques sont des patientes [2]. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ce phénomène. D’abord certaines douleurs sont exclusivement féminines à l’instar de l’endométriose, des vulvodynies ou encore l’inconfort des menstruations. Les œstrogènes participent à augmenter la réactivité biologique à la douleur. Fort heureusement nous savons exprimer notre douleur plus facilement que ces messieurs.

Inégalités de genre dans la douleur

Il existe plusieurs antalgiques permettant d’y apporter une réponse… enfin a priori. En effet, la réponse aux traitements antalgiques semble elle aussi différente selon que vous êtes un homme ou une femme. Les Professeurs Yannick Goumon et Florian Gabel ont testé cette hypothèse sur des souris en laboratoire. Le résultat est sans appel. La sensibilité aux traitements contre la douleur est différente en fonction du sexe chez la souris. Deux constats. Les femelles ont besoin de plus de morphine pour atténuer leurs douleurs. L’efficacité de la morphine s’arrête 3 jours plus tôt chez la femelle. 

Aujourd’hui, ces données sont validées également chez la femme [3]. En résumé, quand une femme prend un opioïde, il y a plus de risque d’accoutumance et d’addiction que chez un homme. Et en bonus, 72,2% des femmes développent des dysfonctionnements sexuels et plus de 20% rapportent une augmentation des troubles du cycle menstruel. 

La question du genre, entraine la question des inégalités de genre. L’interprétation du phénomène douloureux, son vécu et les stratégies thérapeutiques sont différentes en fonction du genre du patient. Les femmes auront un diagnostic sous-évalué, avec un traitement davantage psychologique [4]. Il y a parfois l’ombre de la « maladie de l’utérus » ou plus communément appeler l’hystérie qui resurgit. Les anciennes représentations sociales ont la vie dure.

Explosion de la douleur chronique chez les femmes 

L’augmentation de la prévalence de patientes souffrantes de douleurs chroniques s’accroit de décennie en décennie, notamment dans l’insuffisante prise en charge des douleurs aiguës. Car une douleur aiguë mal accompagnée fait le lit d’une douleur chronique invalidante. 

Aujourd’hui, 28% des patient(e)s douloureux chroniques estiment que la douleur est tellement forte qu’ils ressentent l’envie de mourir. Qu’il y a 75% des patient(e)s douloureux qui ressentent un sentiment de détresse et 20% des patient(e)s déclarant avoir perdu leur travail à cause de la douleur chronique. 70% des patient(e)s indiquent que leurs traitements ne les soulagent pas. Et toutes les 5 minutes un(e) américain(e) décèdent d’une surdose d’opioïdes.

Mesdames ET messieurs parce que ce combat du genre est un combat universaliste, donnons de la voix. Avoir mal n’est pas normal. Si votre corps vous fait souffrir, vous n’êtes pas stressées, angoissées ou fatiguées. Vous avez mal ! vous avez le droit de le dire ! Et de vous faire soigner en conséquence.

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[1] 2022 Sep; A global study of pain prevalence across 52 countries: examining the role of country-level contextual factors Zachary Zimmer

2 Chenaf C, (2018) Prevalence of chronic pain with or without neuropathic characteristics in France using the capture-recapture method: a population-based study. Pain. 2018 Nov;159(11):2394-2402. doi: 10.1097/j.pain.0000000000001347. PMID: 30028790.

3 Mogil, J. S. (2012). Sex differences in pain and pain inhibition: multiple explanations of a controversial phenomenon. Nature reviews. Neuroscience, 13(12), 859-866.

4 N. Jaunin-Stalder (2012) « Hommes et femmes : sommes-nous tous égaux face à la douleur ? » Revue Médicale Suisse